« J'AI ADAPTÉ LE SYSTÈME NÉO-ZÉLANDAIS À MON EXPLOITATION »
Laurence et Erwan Le Roux ont une conduite calée au plus près sur la pousse de l'herbe avec dix mois de pâturage.
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ILS SE COMPTENT SUR LES DOIGTS D'UNE MAIN LES ÉLEVEURS FRANÇAIS qui tentent d'approcher le modèle néo-zélandais. Dans le Finistère, à Rosnoën, Laurence et Erwan Le Roux ont sans doute le système le plus abouti. À l'origine, ils posent un raisonnement d'entrepreneur peu courant en élevage laitier. Ainsi, leur projet de reprise d'une exploitation s'est élaboré sur la base de trois indicateurs. Celui de la performance économique : soit un ratio EBE/chiffre d'affaires à plus de 60 %. Ensuite, la rentabilité du capital : elle s'évalue avec le rapport EBE/capital investi brut qui doit atteindre 20 %. Enfin, l'efficacité de la main-d'oeuvre pour que chaque heure travaillée rapporte au minimum 15 € de revenu net, ce que coûterait un salarié.
Avec de telles exigences, l'investissement en bâtiments et matériels est nécessairement figé à un niveau très bas. Seule solution alors : atteindre 70 % d'herbe pâturée dans la ration annuelle des vaches laitières. Ils ont porté leur dévolu sur une exploitation de 70 ha de SAU, dont 40 ha sont accessibles aux vaches. Il y a huit ans de cela, c'était un système breton classique avec 50 % d'ensilage de maïs, 1,8 t de concentré/VL et le vêlage toute l'année. Laurence et Erwan ont tout changé, à commencer par implanter des prairies sur 100 % de la SAU, essentiellement des ray-grass anglais et du trèfle blanc, définir la taille et la forme des parcelles et installer les points d'eau, puis créer des clôtures et des chemins d'accès en béton.
« JE DISPOSE DE 450 TONNES DE MATIÈRE SÈCHE »
« Nous avons un quota de 385 000 l. Dans notre stratégie d'entreprise, ce n'est plus le facteur limitant, mais plutôt ces 40 ha accessibles au pâturage des laitières. Avec un potentiel de rendement moyen de 8 t de MS pâturée/ha, je dispose de 320 t pour couvrir 70 % de l'alimentation. Il me reste à trouver 130 t de stock, qui peuvent être la fauche des excédents de pâturage, des fourrages récoltés sur l'autre site de 30 ha dédié aux génisses ou des achats extérieurs. L'un comme l'autre coûtent entre sept et douze fois l'herbe pâturée », explique Erwan. Son raisonnement se poursuit ainsi : partant de ces 450 t de MS, comment réaliser le meilleur chiffre d'affaires. Le produit lait est en cela le plus efficace, de préférence du lait bien payé, donc avec des taux élevés. D'où sa stratégie finale : produire un maximum de matière utile par hectare. Première chose à mettre en place : grouper les vêlages pour que l'ensemble du troupeau valorise la pousse de l'herbe. Ici, 100 % des mises bas s'étalent sur neuf semaines, dont 70 % sur trois semaines. Comment y parvenir avec des holsteins dont la fertilité n'est pas la qualité première ? Réponse : la monotraite. « Nous la pratiquons dès le début de la lactation. Certes, nous perdons 25 à 30 % de production, mais l'état corporel des vaches est préservé et la reproduction améliorée », précise Erwan Le Roux.
« LA CLÉ DE LA RÉUSSITE REPOSE SUR LA VITESSE DE ROTATION DES PADDOCKS »
L'autre solution a été de croiser les holsteins sur un roulement de jersiaises, montbéliardes ou rouges suédoises. Aujourd'hui, 90 % du troupeau est métissé. Plus efficace encore : l'importation récente de génétique néo-zélandaise réputée pour sa fertilité et ses taux. Les mises bas sont programmées à partir du 25 février. Neuf semaines plus tard, il n'y a pas de pitié pour les retardataires, vendues en élevage ou réforme. Dès le 15 février, les 95 vaches sont dehors. Elles y resteront nuit et jour jusqu'à l'arrêt de la traite mi-décembre, et ceci avec quasiment aucun concentré.
À partir de là commence la partie sans doute la plus technique : la gestion du pâturage. C'est une question de doigté pour jouer entre la pousse de l'herbe et la portance des sols. « Je travaille en paddocks de 24 heures, qui divisent mes parcelles avec fil avant et fil arrière. La clé de la réussite repose sur la vitesse de rotation : quel délai entre deux paddocks de façon à y rentrer au stade 8 et 9 cm de hauteur d'herbe (trois feuilles) et en sortir entre 3 et 4 cm. Cette gestion consiste à adapter la vitesse de rotation et la taille du paddock au climat. Si je tombe trop juste, je regarde où j'en suis au niveau du quota. En cas d'avance, je laisse couler, sinon je complémente en fourrage ou en concentré. Si je suis trop large, je fais récolter une parcelle par l'ETA, soit en ensilage, soit en enrubanné. » En début de saison et à l'automne, Erwan doit parfois composer avec la portance du sol. « Je limite alors la durée journalière du pâturage à deux fois trois heures, ce qui suffit aux vaches pour ingérer 90 % de leurs besoins. Il faut accepter aussi de matraquer un peu. De ce fait, je renouvelle 15 % des prairies chaque année, à l'automne, après un colza fourrager qui me sert aussi de complément pour le pâturage d'été. »
« LA TRAITE S'ARRÊTE PENDANT PLUS DE DEUX MOIS »
Autre principe astucieux, les parcelles les plus portantes débutent toujours le dernier cycle d'automne, autour du 25 octobre. Avec un repos de quatre mois, elles débutent plus vite en fin d'hiver et entament donc le premier cycle à mi-février. À la rentrée à l'étable, la traite s'arrête pendant un peu plus de deux mois et les réformes sont déjà parties. Le troupeau passe à 75 taries dans un bâtiment prévu pour 55. Au final, les vaches de Laurence et d'Erwan consommeront entre 200 et 300 kg de concentré pour une production moyenne de 4 000 kg et 2,4 vaches par hectare. Rien à voir avec les 55 vaches à 9 000 kg de son prédécesseur. Un modèle intensif sur le sol et extensif sur l'animal qui s'adapte bien à la valorisation de l'herbe.
« Les éleveurs néo-zélandais ont coutume de dire : “Prend soin de tes prairies et tes vaches se porteront bien, prend soin de tes vaches et tes prairies souffriront”. » La gestion d'Erwan ne s'arrête pas là. Chaque année, il note ses vaches sur un indicateur de rentabilité individuel. Pour cela, il ramène leur production à 275 jours en appliquant un barème de jours de pénalité : 15 jours pour une mammite, 21 jours pour un retard de fécondité, 10 jours pour un comptage à plus de 800 000 cellules, etc. Connaissant leur production en lait et leur poids au tarissement, il en déduit combien elles ont consommé. Sachant qu'il ne dispose, pour son troupeau, que de 450 t de MS, quelle vache rapporte le plus en chiffre d'affaires ?
LA RÉMUNÉRATION DE LA MAIN-D'OeUVRE À 26 EUROS/HEURE
« Si toutes mes vaches étaient aussi performantes que les trois meilleures, je pourrais produire 40 % de matière utile en plus sur cette même surface du fait de l'adaptation à la monotraite, très variable d'une vache à l'autre, de la fertilité et de la qualité du lait. L'année suivante, le tiers des vaches qui présentent les moins bonnes notes sort du schéma de sélection et est inséminé en race à viande. » Quelles sont les mieux notées ? Celles issues de croisement, puis les jersiaises, enfin les holsteins.
Au final, Laurence et Erwan ont-ils atteint leurs objectifs de départ ? En 2008, l'EBE (hors main-d'oeuvre)/produit était de 57 % avec 301 €/1 000 l, la rentabilité économique du capital s'établissait à 27 % et la rémunération de la main d'oeuvre à 26 €/heure.
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